Weinstein : la chute d’un système

Pour de nombreux cinéphiles, Hollywood et son industrie du cinéma sont un rêve, un eldorado, mais pour les femmes qui y vivent et en vivent cela peut se transformer en cauchemar

Depuis la création du système des studios dans les années 20, il y a toujours eu une tradition très masculine, forcément, de harcèlement et d’abus de pouvoir. Les accusations, les témoignages que rien ne semble arrêter dans ce qu’il faut bien désormais appeler « l’affaire Harvey Weinstein » sont autant de références héritées d’un Hollywood que l’on pensait d’une autre époque et qui a été façonné par des fondateurs que rien ni personne n’arrêtait.

Darryl F Zanuck
Darryl F Zanuck

Les directeurs de studios comme Louis B Mayer (MGM) et Daryl F Zanuck (Twentieth Century-Fox), ont dirigé des stars comme on dirige du bétail. On attribue à Zanuck l’invention du concept du « casting couch » le casting canapé, un concept et une pratique qui n’ont malheureusement rien perdu de leur popularité en 2017 et qui ont été constamment évoqué pour décrire les pressions qu’exerçait Weinstein sur les femmes. Le « casting couch » à l’intérieur du système des grands studios a été si souvent au moins évoqué, supposé, sous-entendu au cours de ces dernières décennies qu’il s’est inscrit dans l’ADN de l’industrie.

Le sentiment d’impunité lié au pouvoir absolu, ont incité cet homme à ne suivre plus que ses propres règles, les autres n’avaient plus qu’à les suivre. Mais les temps ont changé. Le cinéma est à nouveau devenu parlant… les actrices du cinéma muet des années Weinstein ont retrouvé la parole pour dénoncer des méthodes qui vont d’ailleurs au-delà de Sunset boulevard.

Weinstein n’était pas sur ce boulevard. Il a construit son empire sur la Côte est, à New-York, loin des studios de Hollywood. Sa méthode pour financer ses projets était à nulle autre pareille. Il savait comment monopoliser un marché, comment réduire à néant la concurrence. Il était l’araignée au milieu de la toile de la distribution internationale… et ça a toujours payé… et bien payé. Sa spécialité : les hautes marches du box-office.

Pourquoi n’y a-t-il pas d’équivalent Weinstein en Europe ?

La réponse est simple. Le système de levée de fonds sur les deux continents sont comme le jour et la nuit.

Prenez la France par exemple. Le Festival de Cannes est le plus grand marché du film au monde. Une grande fête avec du vin et du fromage. Mais l’industrie du film en France est largement financée par le biais de subventions, d’investissements institutionnels et d’avantages fiscaux. Au coeur de ce dispositif figure le CNC, le Centre national du cinéma. C’est essentiellement une agence gouvernementale. Son principal rôle revient à promouvoir les films français. Chaque année 1,2 milliards de dollars passent par ses circuits de financement.

Klaus Schaefer, FilmFernsehFonds Bayern, Kirsten Niehuus, Medienboard Berlin-Brandenburg, Frédérique Bredin, présidente du CNC, Petra Müller, Film- und Medienstiftung Nordrhein-Westfalen, Carl Bergengruen, MFG Medien- und Film Gesellschaft Baden-Württemberg
Klaus Schaefer, FilmFernsehFonds Bayern, Kirsten Niehuus, Medienboard Berlin-Brandenburg, Frédérique Bredin, présidente du CNC, Petra Müller, Film- und Medienstiftung Nordrhein-Westfalen, Carl Bergengruen, MFG Medien- und Film Gesellschaft Baden-Württemberg

De plus, les chaînes françaises de télévisions sont contraintes d’allouer une partie de le budget dans la production de films européens (mais de fait essentiellement français). Canal Plus par exemple été contraint au terme d’un bras de fer avec le gouvernement de verser 12,5% des revenus de son activité de télévision payante en France soit quelque 200 millions d’euros par an. Un contrat qui doit prendre fin en 2019. Que se passera-t-il ensuite ?

Et puis il y a les financements par l’Union européenne, par les régions, ainsi que généreuses déductions et autres avantages fiscaux qui peuvent s’élever à 30% de leurs coûts de production. Des systèmes similaire sont en place au Royaume-Uni et en Espagne. L’Allemagne elle se fonde sur des aides au secteur public, des fonds venus de co-producteurs étrangers et des droits de vente aux chaînes de télévision.

Le bon côté c’est que cela finance des films qui, sans cela, n’auraient jamais pu être produits. Le revers de la médaille c’est que cela finance des films qui n’auraient jamais dû être produits.

Dans les festivals les jurys ont aussi un rôle très important en Europe. Ils décident qui va avoir, ou pas, de l’argent. Les critères ne concernent pas toujours la qualité intrinsèque d’une oeuvre mais les personnes qui ont impliquées dans le film. Si vous ne faites pas partie de la famille, difficile d’avoir accès à l’héritage. Les nouveaux venus et les talents naissants sont priés de laisser leur place.

De l’autre côté de l’Atlantique, les financements sont plus simples : pour faire un film il faut avoir une idée, et un business plan. Comme la plupart des films ont des financements privés, la question cruciale posée par les investisseurs est : combien  ce film peut il rapporter ?

Le grand exemple c’est Naissance d’une nation de D.W. Griffith. En 1915 personne ne voulait financer un film allait devenir un film historique. Humblement, Griffith est aller voir des investisseurs privés, qui ont pu amasser des fortunes grâce à ce film. Un film qui a aussi marqué la naissance du cinéma basé sur des investissements privés.

Pour conclure sur l’affaire Weinstein

Ce fait divers sordide et à répétition à éjecté Weinstein de son trône et lui à fait perdre sa superbe. Mais ce n’est certainement pas la raison pour laquelle la Weinstein Company va perdre gros.

Pendant 100 ans les magnas ont pu abuser de leurs positions dominantes et au cours de cette même période le business model de l’industrie cinématographique est resté inchangé. Mais désormais toute la chaine de valeur d’un film est complètement dépassée avec la suprématie des plateformes numériques et leurs réseaux de distribution. Le processus actuel est donc obsolète. Dans les travées des marchés du film à Cannes, Berlin et Los Angeles, on peut voir déambuler des distributeurs, des vendeurs et autres détenteurs de droit au regard inquiet quant à leur avenir.

The Next Pavillon at the Cannes International Film Market

Avec la numérisation des supports, plus besoin de faire des coûteuses copies sur pellicule, il suffit d’envoyer des fichiers directement dans les salles. Alors de plus en plus de producteurs indépendants se demandent pourquoi ils auraient besoin de tout ce tas d’intermédiaires pour commercialiser leur film et ainsi rester en bout de chaîne pour toucher les recettes. Conséquence: De plus en plus de réseaux de distribution direct se mettent en place. Du producteur directement à l’exploitant de salles.  Les petits producteurs assurent eux mêmes la communication et publicité pour leur film via les réseaux sociaux. Peu cher et au combien plus efficace.

Les seules questions qui restent

Tout le monde savait. Alors pourquoi Weinstein chute maintenant après toutes ces années d’impunité? Deux semaines avant le MIPCOM à Cannes, l’un des plus grands marchés de contenus audiovisuels au monde, et un mois avant le American Film Market à Los Angeles.

Et qui peut être intéressé par la chute de valeur d’un des plus grands propriétaires de catalogue de films pendant une période de transition ou tous les cartes se ré-distribuent ?  

 

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