De Weinstein à Polanski, comment mon point de vue a évolué

De Weinstein à Polanski en passant par «#balancetonporc » est-on allé trop loin ? Weinstein était un prédateur, usant de son pouvoir pour assouvir ses pulsions que son propre pouvoir engendrait. Un cercle éminemment vicieux. Le fait qu’il tombe enfin, alors que son comportement n’était qu’un secret de polichinelle qui pouvait faire rire à l’occasion, est salutaire mais cela ne manque pas de soulever la question de son incroyable impunité faite de silence, de fatalisme et parfois de complicité.

Un excès en appelle souvent un autre, diamétralement opposé. Du silence on est passé à l’outrance. Alors que les « cas Weinstein » se multipliaient la dénonciation s’organisait sur les réseaux à coup de #balancetonporc. A juste titre on pouvait se demander qu’elle serait la suite à ça : une décapitation en place publique, une pendaison par les organes génitaux ? Le tout sans procès évidemment ? Là j’étais nettement plus réservé.

Et puis revient « l’affaire Polanski » avec dans un premier temps de nouvelles accusations sur des faits remontant toujours aux années 70 alors que le réalisateur se trouvait au Festival de Zurich, là même où en 2009 il avait été interpellé par les autorités suisses appliquant un mandat d’arrêt de la justice américaine pour cette agression de 1977…

La Cinémathèque française au coeur du débat

Dernier volet (pour l’instant) : la levée de bouclier d’organisations féministes contre la tenue d’une rétrospective Polanski dans ce temple français du cinéma qu’est la Cinémathèque. D’un côté des pétitions, des actions (notamment par les Femens) contre l’organisation de l’événement et de l’autre une Cinémathèque qui entend bien faire la différence entre une oeuvre et son auteur (un débat toujours ouvert sur Louis-Ferdinand Céline). L’affaire n’en reste pas là voici que la Cinémathèque, encore elle, a programmé un cycle Brisseau en janvier alors que ce même réalisateur a été condamné en 2005 pour harcèlement sexuel sur deux actrices et en 2006 pour agression sexuelle sur une troisième.

Alors oui, je fais la différence entre production artistique et auteur, et je relirai avec bonheur “Voyage au bout de nuit” et oui je pense que l’excès a du bon pour mettre un terme aux abus de pouvoir. Si l’art est intrinsèquement au dessus de la morale et des lois, ses auteurs ne le sont pas.

Le cinéma a été le premier touché par cette vague, elle est venue mollement humecter les rivages de la politique. J’espère qu’elle va se développer et toucher, avec la même ampleur, tous les lieux de pouvoir.

Philippe Mathieu